"J'ai appris à provoquer l'idée"

Alors que seize étudiant·e·s viennent d'intégrer le Bachelor en écriture littéraire, douze entament leur dernière année d'études. Entretien avec Lisiane Rapin, étudiante en troisième année, qui revient sur son parcours à l'Institut littéraire suisse, ses projets et ses perspectives pour la suite.

Publication dans l'Anthologie suisse du PIJA 2018

Préparation d'une séance d'atelier, dans le cadre du PIJA 2019

Au travail, avec deux camarades de l'Institut

Dossier de mentorat de 2e année

Lisiane, tu étudies à l’Institut littéraire depuis 2017. Comment a évolué ta pratique de l’écriture entre le moment où tu es entrée à l’Institut littéraire et aujourd’hui, au moment où tu entames la troisième et dernière année du Bachelor en écriture littéraire ?

L'arrivée soudaine d'une régularité dans mes activités d'écriture a bousculé ma pratique. Avant d’entrer à l’Institut littéraire, j’écrivais sous élan ; c’est-à-dire qu’une idée arrivait et le plus souvent j’en faisais une nouvelle mais à la fin de cette rédaction, je laissais « tomber » l’écriture pour un temps indéfini — jusqu’à la prochaine idée. J’ai appris ici à provoquer l’idée, je ne l’attends plus. Aujourd’hui, je connais quelques trucs et astuces pour entretenir mon écriture ; parce que j’ai appris qu’on peut toujours écrire, même sans inspiration, et que pour s’améliorer il faut écrire. Par exemple, j’ai commencé à écrire dans des carnets, en suivant cette idée de photographie, d’instantané. À l’image d’un artiste qui va dans un parc et dessine ce qu’il y voit ; moi je l’écris et je peux y mettre les sons et les odeurs et les sensations. Aussi, et c’est très important, j’ai découvert d’autres facettes de l’écriture comme l’écriture collective. Avec quatre ami·e·s rencontré·e·s ici, nous menons des projets et relisons nos textes entre nous. L’année dernière, nous avons présenté une lecture scénique, ce qui m’a amenée à faire l’expérience d’une autre écriture, celle de l’oralité. Nous sommes constamment en train de questionner des aspects de notre écriture, je trouve cela assez enrichissant.

 

 

En troisième année, les étudiant-e-s rendent un travail de réflexion en plus de leur thèse de Bachelor. Quel est le sujet ou le questionnement de ton travail de réflexion ? Vois-tu entre ces deux travaux des points de passage, de dialogue ou au contraire des interférences, des conflits ?

Pour cette réflexion, j’ai décidé de travailler sur la possibilité d’« invisibiliser » une présence narrative au sein d’un texte, soit de masquer le narrateur à son ou ses destinataires. Évidemment, si je mène cette réflexion et si je cherche les outils qui permettent d’écrire une histoire de cette façon, c’est qu’ils me seront utiles par la suite — ou qu’ils m’auraient été utiles auparavant. En étudiant à l’Institut, j’ai compris que l’on apprenait à se connaître ; en tant que personne mais aussi en tant qu’auteur·e. On comprend mieux ce que l’on recherche et ce dont on a envie. L’idée d’avoir un narrateur invisible est quelque chose qui me plaît, que je trouve pertinent. En observant comment d’autres auteur·e.s font, j’apprends peu à peu les mécanismes de camouflage et, qui sait, peut-être que c’est un dispositif que je mettrai en place pour mon travail d’écriture de troisième année. Ou pour des prochains projets. 

 

Comme la thèse de Bachelor est un travail plus conséquent que les projets des deux premières années, ton organisation est-elle impactée par l’ampleur de la thèse de Bachelor ? Par exemple, les rencontres avec ta menta seront-elles plus espacées qu’avant ou au contraire le rythme sera-t-il plus soutenu ? As-tu choisi de suivre moins d’ateliers cette année pour te consacrer plus intensément à ta thèse de Bachelor ?

En première année, j’ai écrit des nouvelles et en deuxième année un court roman (Wendy). Ces deux projets suivaient une certaine continuité d’un semestre à l’autre. Je ne peux pas dire que j’aie l’habitude de mener un projet sur une année complète, mais le fait d’avoir mené un projet de roman en deuxième année m’a permis de me poser des questions et de réfléchir à certains aspects dont je n’avais pas conscience auparavant. C’est peut-être un chemin que je n’aurais pas à faire au démarrage de mon texte de troisième année. Par contre, il est vrai que je vais me consacrer d’une manière plus complète à ce projet et suivrai moins d’ateliers que les deux années précédentes (surtout lors du semestre de printemps) ; je ne vais certainement pas me lancer dans un projet d’étudiant·e et mes rendez-vous avec ma menta seront plus flexibles. J’aimerais aussi construire une sorte de planning où je figerai les heures destinées à telle ou telle tâche. Je ne l’ai pas fait les dernières années, et je pense que c’est vraiment important : avoir beaucoup de temps pour écrire est une chose, mais il faut savoir l’utiliser. On peut vite s’éparpiller et se laisser distraire. Cette année, j’aimerais être plus au clair avec mes heures de travail et mes heures consacrées à faire d’autres choses. Je pense également effectuer un mentorat externe : profiter d’un regard extérieur en plus du mien et de celui de ma menta est toujours bon à prendre.

 

As-tu déjà une idée de ce que sera ta thèse de Bachelor ? Quel genre littéraire veux-tu explorer ? S’agit-il de quelque chose de tout à fait nouveau par rapport aux années précédentes ou est-ce que tu reconduis un projet entamé en 1ère ou en 2ème année ?

Pour le moment, je n’ai que quelques idées et envies. Cet été, je me suis consacrée à mon texte de deuxième année, ce court roman, que j’avais besoin de terminer avant de pouvoir penser à un autre texte. Mon envie principale (mon défi aussi) est d’ancrer mon projet à mes côtés, c’est-à-dire au cœur de la société dans laquelle je vis. En général, je suis plus à l’aise dans les textes-univers où je peux tout créer de toutes pièces. Cette année, j’ai envie de me dépasser encore une fois, ici à l’Institut, et de tester quelque chose que je ne fais que trop peu. Dans la même idée, j’aimerais expérimenter une narration à la première personne parce que c’est quelque chose que je ne fais jamais (d’ordinaire, j’écris toujours à la troisième personne). Comme il s’agit plutôt d’éléments formels, il me semblerait juste que j’ouvre un cahier et que je commence à griffonner mots et schémas pour trouver l’histoire, celle que j’ai envie d’écrire et, le plus important, celle que je prendrai le plus de plaisir à raconter.

 

 

Quelle est la première question qui se pose quand on s’apprête à entamer une thèse de Bachelor ?

« Qu’est-ce que j’ai envie, besoin de dire ? »

 

Y a-t-il des textes d’autres auteur-e-s qui t’ont particulièrement marquée durant ton cursus à l’Institut littéraire, qui ont modifié quelque chose dans ta pratique d’écriture ?

Les Demeurées de Jeanne Benameur, L’un l’autre de Peter Stamm ou encore Qu’est-ce que vous voulez voir ?, un recueil de nouvelles de Raymond Carver, sont des textes qui m’ont marquée. Dans chacun d’eux, j’ai pris ou compris quelque chose. Je retiendrai la place de chaque mot chez Benameur ; la brièveté et donc l’intensité qui découlent des instants de vie chez Carver ; le vague sentiment humain chez Stamm. Ce qu’on lit nous nourrit, et dans un sens, les petites trouvailles des autres modifient toujours quelque chose dans notre propre pratique d’écriture — même de manière inconsciente.

 

 

Quelles perspectives s’ouvrent à toi après le Bachelor en écriture littéraire ? As-tu déjà une idée de ce que tu aimerais faire après tes études à Bienne ?

Si tout se passe bien, je sortirai de l’Institut avec plusieurs textes, comme une matière première à retravailler. Pour moi, c’est très important parce que je souhaite vraiment continuer à écrire, et ici, c’est facile : on nous donne le temps, on nous donne des impulsions, on parle beaucoup, on entretient beaucoup notre pratique. Mais dehors, ce sera moi, mes carnets et mon ordinateur. Quoique, justement. Ce n’est pas entièrement vrai. Ici j’ai trouvé des ami·e·s qui, je le sais, m’accompagneront dans mon voyage littéraire, et j’espère moi aussi les accompagner dans le leur (le nôtre ?). C’est une réelle chance de repartir avec un groupe d’écrivain·e·s, et plus que cela, des amitiés. Ce qui est clair, c’est qu’une partie de ma vie sera tournée vers l’écriture. Mais pour répondre plus concrètement : je n’envisage pas de suivre d’autres études, de continuer avec un Master ou de rejoindre une université. J’aimerais trouver un travail (avant l’Institut, j’ai obtenu un CFC de médiamaticienne), alors je reste ouverte. Cette année, j’ai eu la chance de travailler aux éditions de l’Hèbe, ce qui m’a permis d’animer un atelier d’écriture dans le cadre du PIJA 2019 (un concours d’écriture pour les 15 à 20 ans) — expérience qui m’a beaucoup plu. Aujourd’hui, j’anime également des ateliers d’écriture pour l’association Lire et écrire dans le cadre du projet « Lire, écrire, se construire ». Avec ces deux expériences, je remarque que c’est quelque chose que je peux faire et qui me plaît. Sans oublier que je continue de travailler sur mandat en utilisant mes compétences apprises lors de mon apprentissage : créations de visuels, mises en page, pochettes, logotypes, etc. 

J’ai plein de possibilités, et mon plan c’est : écrire, trouver une place et continuer.