Le travail d’auteur·e ne s’arrête pas à l’écriture, et le livre papier n’est pas le seul mode de publication des textes. Publier signifie aussi, pour reprendre les termes de Lionel Ruffel dans son essai Brouhaha (Verdier, 2016), "multiplier son inscription dans des espaces publics", que ce soit en publiant un texte sur internet, en l’exposant dans un musée ou en le lisant à haute voix sur une scène. Si les auteur·e·s sont de plus en plus amené·e·s à porter leurs textes devant un public, c'est aussi le cas pour les étudiant·e·s du Bachelor en écriture littéraire. Nous avons donc recueilli les impressions de Tristan Schenker (étudiant de 3e année du Bachelor) qui revient pour nous sur son expérience de la lecture à haute voix et de la lecture publique.
Tristan, tu as participé ce semestre au cours "Lire à haute voix" proposé par Anne Schwaller, comédienne, metteure en scène et coach en art oratoire. Peux-tu nous raconter en quelques mots comment s’est déroulé ce cours, en quoi il consistait et en quoi il été significatif dans ton approche de la lecture à haute voix ?
Le cours d’Anne Schwaller s’est déroulé en séances plénières et individuelles. Il avait pour objectif la transmission d’outils pour s’approprier des textes et les faire entendre. Dans un premier temps, l’idée était de nous suggérer une méthode de préparation de textes dédiés à être lus à haute voix. Puis, nous avons reçu des conseils techniques liés à l’expression orale et corporelle. Les séances individuelles ont été, pour ma part, particulièrement utiles. Les retours d’Anne Schwaller pointaient des problèmes précis et proposaient des solutions personnalisées.
Au-delà des aspects techniques, j’ai été marqué par l’importance de mon implication émotionnelle lors d’une lecture. Malgré une bonne maitrise vocale, un public saisira rapidement si l’interprète observe une trop grande distance avec le texte. C’est une notion qui me parait maintenant centrale et que le cours a parfaitement amenée.
Le travail de l’auteur·e ne s’arrête pas une fois le texte écrit ; souvent il s’agit de porter son texte devant un public, notamment en le lisant à haute voix. Il est souvent attendu des auteur·e·s qu’ils ou elles lisent leurs textes lors de rencontres ou de festivals. Comment considères-tu cette pratique de la lecture à haute voix ? Quelle place voudrais-tu lui donner dans ton travail d’auteur ?
La plupart du temps, la littérature est silencieuse. Elle se passe entre le texte et le lecteur. La lecture à haute voix apporte une nouvelle dimension. Elle propose une autre version, celle de son interprète. Mais elle impose aussi une voix et un corps, ce qui peut s’avérer troublant pour un auditeur ou une auditrice qui aurait déjà lu le texte. Quoi qu’il en soit, je pense que les lectures à haute voix sont une façon de rendre vivant un texte. C’est également l’occasion de donner envie au public de le découvrir plus longuement.
À l’avenir, j’aimerais avoir la possibilité de lire mes textes en public. À ma connaissance, la pratique est moins bien ancrée en francophonie que dans d’autres sphères linguistiques. Je pense donc qu’il y a un potentiel à développer en Suisse romande. Il existe de nombreuses façons de mettre un texte en scène. Notamment en s’associant à des musicien·ne·s ou à des danseurs·euses. C’est aussi l’occasion de faire dialoguer différents domaines artistiques !
Tu as participé dernièrement à une lecture-discussion avec l’auteur Joseph Incardona organisée conjointement par Forum Rockhall et le Lyceum Club à la Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds. Qu’est-ce que t’a apporté cet échange avec Joseph Incardona ? Comment t’es-tu senti face à ce public que tu ne connaissais pas ?
C’était une expérience très riche ! L’espace de discussion était privilégié et a permis d’aborder plusieurs facettes de l’écriture. Joseph Incardona est un auteur expérimenté qui exprime précisément en quoi consiste son travail d’auteur. J’ai pu saisir ses positions et ses doutes. Je me suis senti très proche de ce qu’il disait. Aussi, la confrontation de nos rapports respectifs à l’écriture a créé, je pense, une interaction dynamique. Cet échange m’a été précieux.
Quant à ma rencontre avec le public, je dois avouer que je l’appréhendais un peu. Étant au début de mon chemin d’auteur, je ne me sentais pas vraiment légitime face à cet auditoire. Cependant, j’ai tout de suite senti une attention bienveillante et un intérêt pour ma pratique. De plus, j’étais bien entouré par l’organisation et par Pierre Fankhauser, l’animateur de la rencontre. Je garde un très bon souvenir de cette soirée.
Comment te prépares-tu pour une lecture publique ? Retravailles-tu ton texte pour qu’il sonne mieux à l’oral ou le gardes-tu tel quel ?
D’abord, je relis à plusieurs reprises mon texte pour bien l’intégrer et m’imprégner des différentes ambiances. Ensuite, je le lis à haute voix tout en l’annotant. C’est à ce moment que les passages moins fluides apparaissent, et que je les modifie ou les retire simplement.
Même si un texte n’est pas dédié à une lecture, je le lis souvent à haute voix. Je pense que cela permet d’amplifier des éléments qui n’apparaissent pas toujours dans une lecture silencieuse. Le rythme, le tempo, la sonorité des phrases, tous ces éléments musicaux sont également importants dans un texte.
Ce que l’on dit est vrai : une fois qu’on goûte à la scène, on a qu’une seule envie, c'est d'y retourner ?
Oui ! Monter sur une scène à quelque chose de vertigineux. Si tout se passe bien, la sensation est très agréable. Je ne connaissais pas vraiment cette impression et je dois dire que cela me plaît !
Propos recueillis par Romain Buffat