Vies meubles

Élodie Masin, étudiante de troisième année du Bachelor, nous raconte la genèse du projet "Vies meubles", une création originale d'étudiant-e-s, en colla­bo­ration avec des diplômé-e-s de l'Institut littéraire et avec le soutien de la metteuse en scène et enseignante Angela Koerfer-Bürger. Pour les étudiant-e-s parti­cipants, cette création est réalisée en tant que projet étudiant, s’inscrivant dans le cursus de leurs études. Le travail à ce projet (qui est toujours choisi librement et réalisé de manière autonome par les étudiant-e-s, seul-e-s ou en groupe) est reconnu comme partie des études et se voit ainsi récompensé par des crédits ECTS. La forme des projets étudiants est totalement libre: de la chanson de rap au court-métrage, de l'expé­ri­men­tation colla­bo­rative à la traduction de texte, tout est possible. 

Tu sais qui habite ici ?
Des jeunes familles qui essaient franchement de leur mieux de survivre ! Des enfants trop responsables qui ont trop sur l'assiette, des mères qui portent simplement leur désir d'un avenir sûr. Des pères qui ont trop perdu, qui ont trop peur !
Des esprits généreux, bien que particuliers, bien que solitaires...
Sjoukje, la dame âgée, rez-de-chaussée 

Nous sommes 9 auteures étudiant-e-s ou diplômé-e-s de l’Institut littéraire suisse qui avons maçonné à 18 mains un immeuble avec ses multiples existences humaines. Si au début chaque auteur avait son personnage précis, avec sa person­nalité, son univers parti­culier, très vite des corre­spon­dances sont nées entre les parcours de vie quoti­dienne des habitants. Ainsi, la vieille Sjoukje et le jeune Jules se prennent d’affection l’un pour l’autre, et deviennent complices pour une lettre que Jules veut inter­cepter à tout prix… Ce Jules qui est justement amoureux de la douce et très responsable Amandine, aussi jeune que lui, qui a pour conseillère et marraine Marisa, la jeune mère célibataire du deuxième étage, qui elle, pourrait peut-être rêver aux mains de Selim, ce jeune homme Marocain, meilleur ami de Ludovic Chassot, celui dont la musique se glisse sous toutes les portes de l’immeuble, qui recèle encore beaucoup d’autres existences tragiques, belles, complexes, solitaires, parti­cu­lières, simples, très simples.

Un immeuble donc, où des vies meubles se meuvent tranquil­lement ou tempé­tu­eu­sement, mais qui, un jour, vont être secouées plus que de coutume par un événement imprévu. Des vies meubles d’une mouvance qui après ce choc, les mènera toutes à la métamorphose.

Un spectacle entre la lecture théâtrale et le théâtre littéraire, entre lecture et jeu, est en train de naître, lui aussi. Avec le soutien d’Angela Koerfer-Bürger, metteuse en scène et enseignante à la HKB, nous créons un scénario qui soude encore plus les vies des habitant-e-s dans le cadre d’une pièce de théâtre.  A la fin du mois de mars, nous commen­cerons à répéter dans l’espace du Théâtre de La Maison de quartier sous-gare, à Lausanne, où nous lirons-jouerons le 8 avril, à 16 heures et à 20 heures. Angela Koerfer-Bürger nous mettra en scène, dans une énergie de lecture tonique, c’est-à-dire avec une certaine présence et force de la voix. Une explo­ration et exploi­tation de l’espace sont aussi envisagées par Angela Koerfer-Bürger.

 

Notre immeuble respire aussi le vertige, et la bizzarerie, comme celle d’André Lerne par exemple, qui recherche conti­nu­el­lement du bois ou du papier pour nourrir son hydre. La bizzarerie, celle que nous connaissons tous, celle qui fait à tous notre quotidien, et qu’il faut bien s’avouer un peu, tendrement.

André Lerne: - Marius, Sacha! Bonjour…Excusez-moi, vous n’auriez pas reçu par erreur un magazine littéraire dans votre boîte aux lettres?

Sacha: - Hum…Non, pas vu.

Marius: - Non plus.

 

Assis sur son canapé, Ludovic Chassot prend le  temps  de  parcourir  les  offres  d’emploi.  Si  les  premiers  mois  il  tentait  de  se représenter  le poste au concours, triait, en  fonction de  ce qui  lui  semblait  être le plus proche de  ses  domaines  de  compétences,  désormais,  suivant  les conseils  de  sa  conseillère  de placement,  il  « a  cessé  de  se  montrer  trop  exigeant », et  envoie  sa  candidature  partout,  sans filtres. Il a vingt modèles de lettres-types différentes, qu’il ne prend plus la peine de remanier.

Il travaille avec  méthode, rigueur, précision et  rapidité.

 

À chaque intrusion, mon père potasse son registre de nos biens pendant deux semaines. Deux semaines qu’on n’a plus le droit de recevoir qui que ce soit pour éviter d’effacer les traces d’un éventuel vol. Deux semaines qu’on doit inscrire scrupuleusement tout ce qui sort avec nous de l’appartement. Tout  ça  pour  qu’il  finisse  par  nous  annoncer,  la  mine  grave,  le  front soucieux,  qu’il  manque  un  gant  blanc  à  pois  rose,  taille  6  ans,  que  mes parents   gardent  au-dessus  de  l’ armoire  de  leur  chambre  pour  leurs  potentiels  futurs  petits  enfants.  C’est  déjà arrivé, je n’invente rien.      
Jules 

 

Selim pense: - J’attends tout plein de choses, le sommeil, une femme de ma vie. Ah oui celle-là je l’attends, mais n’allez pas vous imaginer que je fous rien. Je me bouge le cul. J’écris, j’écris énormément. Quand vous n’avez pas vécu quelque chose avec une femme depuis longtemps, vous êtes mal, tellement mal. Dans la tête et dans le corps. 

Marisa pense: - J’ai encore croisé Selim, qui m’a tenu la porte. C’est le seul qui semble remarquer que nous existons, qui nous voit, qui nous adresse la parole.

Marisa pense : Ma fille, tu t’appelles Ariane. Je connaissais le fil d’Ariane et l’histoire du labyrinthe. J’ai trouvé ça joli. Que tu sois mon fil qui me guide à travers les difficultés. J’avais oublié Thésée et Ariane abandonnée.

Mais toutes ces vies vont connaître un choc imprévu, un coup du destin soudain, commun à toutes, qui entrainera un changement radical. Une métamorphose, qui sait…

 

Selim : Je m’appelle Selim.
Marisa : Moi c’est Marisa, enchantée.
Selim : Tout l’enchantement est pour moi !